Le Grand Soir # 7 – Bordeaux (ma_ville)

 

Cher Port de la Lune,

Là même où j’ai jeté un jour mon ancre. Ce fut bel et bien par erreur… je te croyais au bord de l’eau. L’histoire est vraie, j’en ris encore ! J’avais tout juste dix-huit ans et franchi la Garonne au hasard d’un concours. J’étais à la recherche de la mer et je n’ai rien trouvé : nulle trace de sel, nulle trace de sable.

Le coup de foudre fut immédiat pourtant… les bordelais sont des migrants et l’océan leur terre naturelle. Un peintre l’a compris, qui s’affranchit des distances et préfère poser sur sa toile les us, les coutumes et les rêves plutôt que la géographie. Cher Faugas ! Vous mettez en couleurs l’image que je porte au fond du cœur, celle d’un port de pleine mer auquel se serait amarrée la lune et avec elle toutes les lumières du monde.

Longue, et paresseuse, et belle ville de Bordeaux… J’aime l’histoire que racontent les quais au petit matin, quand la lumière s’empare des façades : insaisissable et tiède. Celle que chantent les places, les fontaines, le rire des accents. Cette autre des marées quand le fleuve se met à monter à rebours. Le moment si doux de l’étal. L’histoire encore des Girondins, dans leur révolte contre une centralité qui ne leur ressemblait guère. Et puis j’aime les parfums du soleil sur les pierres ; les terrasses des guinguettes la nuit tombée ; le craquant des cannelés encore tièdes de Baillardran ; l’onctuosité toute en mousse des cappuccino de la Brûlerie Gama ; les mille boutiques de Mollat, leur entrelacs de livres et ces chemins qu’ils tracent en nous comme autant de galeries souterraines… celles qui font notre âme, qui l’enrichissent et la dénouent. J’aime le Jardin Public et son Mauriac, immortalisé par Zadkine dans la troublante dualité d'un demi profil de toute beauté. Les ruelles pavées des Chartrons, les lourds balcons de pierre du Cours Xavier Arnozan et l'alignement des chais. L’espace vide des Quinconces, les Allées de Tourny, la place du Parlement et celle de la Bourse aussi… autant de lieux dressés comme un honneur à ce siècle des Lumières qui nous éclaire encore.

Chacune de ces histoires tisse les secrets de l’intimité nous liant par le cœur - mais pourquoi ? à des endroits qui nous parlent alors qu’ils sont muets pour d’autres.

Oui, le coup de foudre fut immédiat et les années n’ont rien changé.

Cela se passe de mots, alors pour une fois je me tais et je regarde, j’écoute, je me nourris au fil des jours d’un présent si riche que jamais, je ne serai rassasiée.

Aujourd’hui comme hier et pour longtemps.

Bien à toi, ma capitale aux airs de lune…

M.

 

Un jour du mois de juin la Mairie a lancé un grand concours. Il s’agissait d’écrire sur le Port de Bordeaux et la Garonne à l’occasion de la toute nouvelle Fête du Fleuve. Le lauréat verrait son texte déclamé le long des quais, sur fond de feu d’artifice. Ce serait grandiose.

Quelque jours plus tard Sud-Ouest annonçait dans ses colonnes plus de mille courriers déjà reçus : toute la jeunesse écrivait dans les écoles, les collèges et les lycées ; les maisons de retraite de la ville s’y était mises elles aussi, de toutes parts les écrits arrivaient alors il fut décidé d’en tirer un au hasard pour éviter d’avoir à dépouiller, lire, noter des centaines de milliers de mots.

L’annonce d’une loterie littéraire dopa l’imagination collective et bientôt on ne sut plus où stocker les envois. Je renonçai dans ces conditions à poster ma lettre, bien qu’elle eût selon moi toutes ses chances.

Le jour J, je me suis rendue à vélo au bord du fleuve et tandis que le Maire lisait la prose que venait de sortir du lot une innocente main, j’ai lu la mienne à voix basse. Ce fut bel et bien grandiose. Alors je ne fus pas étonnée de voir la lune m’apostropher, de tout là haut dans le noir du ciel.

Elle m’a dit :

Bonjour, toi. Ça va ?

Je lui ai répondu :

Et toi ?

Moi ? Ça va.

Et puis ce fut le final, cela pétaradait de partout, la foule applaudissait et j’ai perdu le fil de ma conversation avec la lune. Personne ne me croirait bien sûr, mais dans mon cœur j’avais chaud. Bien chaud.

2 Comments

  1. Irene Darnau sur mars 28, 2018 à 6:48

    Billets d’humeurs, billets d’humour, billets d’amour, j’aime!
    Cher Port de la lune, je partage l’ amour de ce fleuve qui se coude en forme de lune, de cette ville qui chaque jour m’enchante, déchante, m’enchaine…..

  2. Marie sur juillet 10, 2018 à 1:47

    belle photo beau texte

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