Biographie… vous avez dit biographie ?

Le dernier livre de l'écrivain Sud-Africain Deon Meyer - "L'année du lion" - traduit de l’afrikaans et de l’anglais par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert - aux éditions Points, est à l'ordre du jour du prochain Club lecture de l'Association À portée de mots. La notion même de récit de vie fait partie intégrante de l'intrigue, avec une narration qui mêle plusieurs voix. Un roman où le "je" pour autrui tient une place centrale, et prend toute sa part au suspens.

 

L'ouvrage commence par quelques citations, dont deux sont relatives au travail autobiographique :

"Toute autobiographie contient deux personnages, un Don Quichotte, l'Ego, et un Sancho Pança, le Soi" - W.H Auden.

"Une autobiographie est parfois sincère mais elle ne dit jamais la vérité" - Robert A. Heinlein, Friday

Et une autre, qui résonne dans tout cheminement d'écriture, qu'elle soit biographique ou autobiographique :

"Le mystère original qui accompagne tout voyage est le suivant : comment le voyageur est-il arrivé au point de départ?" - Louise Bogan.

 

Ceci posé... et ce n'est pas rien !... l'ensemble du roman repose sur un savant entrelacs de récits et met en écho les témoignages de ceux qui parlent, de ceux qui les écoutent, et de ceux qui écrivent. Récit autobiographique, collectages de paroles, analyse rétrospective et construction de sens. Brillant !

 

En voici quelques extraits, choisis non pour l'histoire qu'ils racontent, mais pour la connaissance qu'ils nous donnent des techniques de narration dans l'écriture de récits autobiographiques ou biographiques.

 

Sur les notions de vérité, d'objectivité, de subjectivité :

 

[Extrait du récit de Nico Storm - page 35 - Editions Points Policiers]

"C'est Père qui a dit que le passé est comme un fleuve. [...]

- Le passé est comme un fleuve, Nico. On ne se souvient pas de toute l'eau qui a coulé. C'est pourquoi, quand on y pense, on se rappelle d'abord les épaves, les détritus que les tempêtes et les inondations ont laissés sur les bords [...] Nous nous souvenons le mieux des traumatismes. La peur, la perte, l'humiliation... Tu verras, un jour.

Maintenant, je vois.

Maintenant que j'essaie de rédiger ces Mémoires, maintenant que j'essaie de me rappeler pas seulement les moments difficiles mais aussi ce qui s'est passé dans les intervalles. J'ai cité Auden et Heinlein sur l'autobiographie car les pièges qu'ils indiquent sont vrais. Quand il s'agit des eaux troubles de la mémoire, on est seul avec ses propres souvenirs - parfois pas fiables, parfois déformés - et les histoires des autres. On est exposé aux désirs et aux peurs de l'Ego qui ne se rappelle que certains évènements et pas d'autres. Je l'avoue franchement : je raconte ici l'histoire de ce qui s'est passé après la Fièvre tel que je m'en souviens. Ma vérité. Subjective peut-être, un peu déformée. Mais je dois des faits et la sincérité à tous ceux qui ne sont plus là pour dire leur vérité à eux. La vérité est mon plus grand objectif". [...]

 

[Extrait du récit de Nico Storm - page 51 - Éditions Points Policiers]

"Pendant que j'écris, évoquant cette nuit-là, les souvenirs s'emparent de moi ; en vrac, au hasard, sans chronologie. Et je ne peux même pas employer ce mot sans entendre la voix de mon père : Chronos désigne le temps en grec ancien et logos se rapporte au verbe lego, "je lis" [...] .

C'est étrange d'ouvrir de nouveau ces vieilles portes, de laisser souffler les courants d'air de cette époque révolue. Le mal du pays et la nostalgie, la douleur et la joie. L'émerveillement. C'est ma vie. C'est ainsi que j'ai été fait et façonné. Et l'autre grand dilemme de ces aveux : donner à mon récit une structure compréhensible malgré les aléas de la mémoire, la navigation difficile dans les replis des sentiments. Mon père. Ce "maudit esprit universel", comme Néro Dlamani. Mon père était sensible et doux, mais il était réellement brillant. Et sage. [...]

 

Sur le travail de collecte des récits :

 

[Extrait du récit de Sofia Bergman - page 509 - Editions Points Policiers]

"Quelque chose a changé en moi, ce jour-là avec les Côtiers. [...]

Je vais te dire ce qu'il y a de si intéressant dans la vie : on a beau tout planifier, la vie n'en fait qu'à sa tête. Avec toute ses coïncidences, la vie t'ouvre des portes, et elle t'en referme. [...] Là, à Melton Wold, nous sommes passés entre ces pauvres gens, et j'ai aidé, je leur ai donné à boire, je les ai réconfortés, j'ai écouté leurs histoires. Et ce sont leurs histoires qui m'ont émue. C'est ça qui m'est arrivé. J'étais touchée et captivée par leurs histoires. La vie. Les choses qui nous arrivent. Le destin, je suppose". [...]

 

[Extrait du récit de Nico Storm - page 644 - Editions Points Policiers]

"Mais nous nous détendons, nous trouvons notre cadence de marche, et au fur et à mesure que nous avançons, nous nous éloignons de notre réalité d'Amanzi. C'est à Sofia qu'en revient presque tout le mérite. Elle a une manière de poser des questions comme si elle était vraiment curieuse de savoir, et comme si mes réponses étaient intéressantes et dignes d'être écoutées". [...]

 

La diversité des prises de parole révèle la diversité des membres de la communauté humaine constituée au fil du temps autour de ses membres fondateurs.  Le projet d'écrire l'histoire d'Amanzi est le socle d'un récit où chaque témoignage constitue un élément de l'intrigue. Avec la surprise, une fois l'ensemble des pièces enfin assemblées, de revenir au point de départ et de le re-découvrir.

Comme souvent, à l'issue d'un travail biographique.

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