Citations précieuses et lectures salvatrices en ces temps de confinement… #5

 

Je parle à un homme qui ne tient pas en place - Jacques Gamblin & Thomas Coville - Equateurs Littérature [ Extrait ] Crédit photo : Nicolas Gérardin

[…]  « Cher Thomas,

J’ai eu ton petit SMS. Court et fort.

Je suis heureux que tu me reçoives. Evidemment. C’est tellement étrange d’écrire des mots qui ont toutes les chances de s‘évaporer en petites fumées entre ici et toi.

Ici, c’est Chateauvallon pour ma dernière ce soir. Hier fut une merveilleuse soirée, qui efface un peu la précédente. Un petit miracle. Le son, l’énergie, le partage… Un grand et beau run. Mon bateau était bien réglé.

Je suis vraiment heureux de jouer. Parfois. La seule chose que j’aime dans les mauvais jours, c’est que le lendemain on est sûr de faire mieux. Accepter pour oublier. Ce travail, tu sais Thomas, je l’essaye moi aussi, quotidiennement. Grâce à toi, grâce à mon âge, à mon désir désormais irréductible d’être heureux, au calme que je semble en tirer, et à bien d’autres choses encore… parce que c’est dur de monter chaque soir sur un plateau, et seul avec mes propres mots. Et dur d’en descendre parce qu’il y a du vide en dessous. Dur de craindre de déplaire. Cette maladie qui laisse des tâches sur la peau.

J’ai la trouille tu sais avant de jouer, tous les jours, et ça commence dès le matin. Je fais une sieste dans ma loge pour me calmer et aimerais me réveiller en scène sans passer par cette minute qui précède la mise à feu. La minute des insectes, ceux de la tombée du soir, que je tente de chasser par de grands mouvements respiratoires. Les insectes de la peur qui ramollissent les guiboles. Quand la lumière inonde le plateau qui n’attend plus que moi. C’est à cette seconde-là que je vais chercher le courage pour le sortir de ses gonds. À cette seconde j’arrache les montagnes de leur socle pour simplement faire le métier que j’ai choisi. Je déteste cette seconde. Je voudrais que tout ait commencé depuis toujours. En fait, je voudrais ne jouer que des spectacles en cours.

Pourquoi chacun dans notre métier nous sommes-nous donné ce qu’il y a de plus difficile à faire ? Personne ne nous a forcés, personne ! Alors pourquoi ? Parce qu’on aime les défis, qu’on aime se faire mal. Ou bien a-t-on besoin de se faire mal pour se justifier d’être là ? Pourquoi ?

Tu sais, je voudrais ne plus m’en vouloir autant quand je rate. Je ne veux plus me demander d’être parfait. Je ne veux plus croire que tout le monde me le demande. Personne ne me le demande. Personne ! Juste moi. Et c’est trop.

C’est d’une grande prétention pour un homme de se surévaluer. Si, à partir d’aujourd’hui, nous appelions l’échec « la victoire à l’envers » ? Cela pourrait peut-être nous calmer non ?!

Je veux vieillir avec le sourire. C’est mon projet mon pote. Mon projet non violent. Se délester du pondéral mental et cérébral qui encombre le cervical et le cérébral et qui salit la joie. Ces poids nous pèsent, ils nous courbent. La joie doit être partout mais notre vanité la bouffe. Être nu, nu devant le monde, nu et sans protection. Disponible.

« Danser infatigablement, invieillissablement ».

Vieillir n’est pas devenir vieux, juste plus léger.

Je suis sur les hauteurs au-dessus de Toulon. La mer au loin, la cap Sicié, Saint-Mandrier…

Je t’envoie un signe qui passe de profil par le détroit de Gibraltar et vient se poser sur ton épaule.

Je t’envoie une vague, avec son petit chapeau d’écume et ses bras transparents.

Bon vent mon frère.

Jac »

[ Extrait ]

 

En savoir plus sur le spectacle :

https://carrecolonnes.fr/spectacle/je_parle_a_un_homme_qui_ne_tient_pas_en_place.htm

 

1 Comment

  1. Anna P sur avril 26, 2020 à 10:37

    J’ai vu ce spectacle au Carré vraiment un très beau texte beaucoup d’émotion belle mise en scène Gamblin est incroyable…

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