Club lecture du 3/10/18

Retour sur la rencontre du Club lecture de l'Association À portée de mots, qui s'est tenue le mercredi 3 octobre dernier à Bordeaux autour du dernier roman de Carlos Ruiz Zafòn "Le Labyrinthe des esprits" traduit de l'espagnol par Marie Vila Casas. Une séance riche en échanges, animée par Nicole Ouvrard.

Extraits du compte-rendu issu de son intervention.

[...]

« Un roman gothique à la hauteur de la Sagrada familia qui n’en finit pas de s’achever et donc de s’élever. Mais ce n’est pas dans les hauteurs qu’il faut chercher l’intrigue ou les intrigues, c’est plutôt, on l’aura compris, dans les profondeurs, les ténèbres, les brumes, les caves de Barcelone ; dans les profondeurs, les ténèbres, les brumes des humains…

Polar ? roman d’espionnage ?  roman fantastique ? dans un contexte historique sanglant : la guerre d’Espagne  et le franquisme ? c’est tout cela.

Annah Arendt l’a dit : c’est dans la « banalité du mal » que s’installe les totalitarismes.

Les personnages sont bien trouvés : les ratés, les revanchards que rien n’arrête dans la criminalité au nom de la suprématie de l’état, on a bien connu cela en France. Dans cette catégorie de personnages, Léandro est cependant le plus terrible car il fait le mal avec élégance, l’image même du pervers qui se sert de son intelligence, de sa culture pour arriver à ses fins. Il utilise l’amour pour activer la haine, il finit par s’y piéger lui-même, il fallait bien que cela arrive mais pour ceux qui l’ont rencontré c’est trop tard. Alicia Gris, celle qui va d’un bord à l’autre (les tyrans, les martyrs), explore le labyrinthe de l’histoire comme celle des merveilles, mais ce n’est pas merveilleux, elle emprunte des chemins dangereux, escarpés, elle frôle l’irréparable, elle a une intelligence lucide mais jusqu’à quand, le suspens est terrible, on a peur pour elle, elle est le personnage central. Mais il n’y pas qu’elle : j’ai adoré Firmin, son langage grand siècle comme diraient certains, son langage typiquement catalan je pense (j’ai reconnu Tosqueilles) avec ses plaisanteries, sa pensée florissante, pleine de malices, de désirs, de vie, d’amours, il est l’espoir, il est le fil rouge, le fil d’Ariane, qui va nous permettre dans ce labyrinthe de trouver la sortie avec cependant beaucoup de peine, j’ai été plusieurs fois perdue, haletante, ne pouvant me détacher de cette lecture. « A Barcelone, l’avenir naît tordu » dit-il p 217.

Enfin et avant tout, ce livre est un hommage flamboyant à la littérature. Zafòn l’illustre à travers la famille Sempere et tous ces écrivains poursuivis, martyrisés, sacrifiés. J’ai relevé quelques phrases qui dans les tourments de l’intrigue pourraient passer inaperçues et qui pourtant sont essentielles quand on s’intéresse à l’écriture :

p 200: « Chaque paragraphe, chaque phrase paraissait composées selon les règles d’une métrique musicale. La narration nouait les mots entre avec la grâce de l’orfèvre et entrainait les yeux dans une lecture de timbres et de couleurs qui dessinaient dans l’esprit un théâtre d’ombres. »

p 387: « On boit pour se souvenir , on écrit pour oublier »

p 705 le carnet d’Isabella : « David Martin m’apprit quantité de choses : à fabriquer une phrase, à considérer le langage et oui ses artifices comme un orchestre disposé face à une page blanche, à analyser un texte, à en comprendre  la construction et la raison d’être… Il me répétait inlassablement que la seule chose qui compte véritablement en littérature, ce n’est pas le sujet du livre mais la manière de le  raconter. Le reste, c’était des fioritures. Il m’expliqua aussi que si le métier d’écrivain devait s’apprendre, il ne pouvait pas s’enseigner. »

Et puis le prologue du labyrinthe des esprits de Julian Carax, l’écrivain mystérieux p 787: « Une histoire n’a ni début ni fi, seulement des portes d’entrée. Une histoire est un labyrinthe sans fin de mots , d’images et de pensées réunis pour nous révéler la vérité invisible sur nous-mêmes. En définitive, une histoire est une conversation entre une personne qui raconte et une personne qui écoute. Or un narrateur ne peut conter que dans la mesure de ses capacités, et un lecteur ne lit que ce qui est déjà écrit dans son âme.

Telle est la règle d’or sur laquelle repose tout artifice d’encre et de papier, parce que lorsque les lumières s’éteignent, que la musique cesse, que la parterre se vide, seul compte le mirage demeurant gravé dans le théâtre de l’imagination interne de tout lecteur. Et également l’espoir de tout faiseur de contes : que le lecteur ait ouvert son coeur à l’une de ses clés de papier et lui ait confié quelque chose de lui-même pour le rendre immortel, ne fût-ce que pendant quelques minutes. Cela étant dit de façon plus grave que ne le mériterait sans doute le sujet, mieux vaut atterrir au ras de la page et demander à l’ami lecteur de vous accompagner jusqu’à la fin de l’histoire et de nous aider à trouver le plus difficile pour un pauvre narrateur pris dans son propre labyrinthe-: la porte de sortie. »

p 829: « Ecrire , c’est réécrire , on écrit pour soi et on réécrit pour les autres »

p 832: « Le processus d’écriture… cessa d’être une escapade au paradis pour se transformer en monstre qui dévora progressivement tout ce qui se trouvait autour de lui , le monstre ne voulut plus jamais repartir,  et il dut apprendre à cohabiter avec les autres fantasmes de mes jours, je me penchai moi aussi sur l’abîme que tout écrivain porte en lui, au point de me retrouver un jour accroché du bout des doigts au bord du précipice. »

p 835 : « Un livre n’est jamais terminé et par chance , c’est lui qui nous quitte pour que nous ne passions pas le reste de l’éternité à le réécrire. Il vaut mieux faire travailler le cerveau et l’épuiser que de le laisser au repos, au risque qu’il vous dévore tout cru lorsque l’ennui le gagne ».

Vous prendrez bien un sugus, Mesdames ? »

[...]

Laissez un commentaire